C'est quoi l'histoire?

Fatigués par un urbanisme de la surenchère (plus d’équipements, de matériaux, de séparation des flux, de catégorisation des publics, surconcertation, expertises « parapluie », multiplication des règles et des discours sur la règle…

Etonnés que seuls prévalent des argumentaires fonctionnels dans la production d’espace aménagé, alors que la réalité des décisions repose souvent sur l’émotionnel, l’esthétique, la séduction… voire un « star system » de l’urbanisme qui ne dit pas son nom…

Militants de « l’aménager moins », mais soucieux de voir si ça marche vraiment, et à quelles conditions (contrôle social fort ?)…

Nous avons entrepris, en une folle « fashion week » de l’urbanisme, de faire défiler sous nos yeux et sous les roues de nos bicyclettes une vingtaine de sites emblématiques de l’urbanisme de ces dernières années, la dernière collection « Europe du nord », celle qu’il faut porter pour être branchés et durables, en posant à chaque fois la même question :

· Est-ce que cela fonctionne ?
· La magie et la séduction opèrent-elles ?
· Quelles rencontres naissent de cet endroit ?
· A copier, à rêver, ou… à oublier ?

C'est qui ces gars là???

Il s se sont rencontrés en discutant à vélo sur le trajet de l’école. Puis l’un a pris ce chemin ci, l’autre ce chemin là, le loup ne les a pas mangés et ils sont tous deux devenus urbanistes.

Pierre ROCA d’HUYTEZA, qui dirige le bureau d’études toulousain « d’une ville l’autre », est un boulimique de la ville. Urbaniste qualifié par l’OPQU, lauréat du palmarès des jeunes urbanistes en 2005, il est également architecte DPLG. C’est lui qui a eu l’idée de ce périple et en a prévu les étapes, car pour lui « un urbaniste ne voyage jamais assez ».

Denis CARAIRE, qui dirige deux entreprises associatives pour l’habitat à Agen et Bordeaux, est un touche à tout insatiable (musique, pilotage, arts plastiques). Urbaniste qualifié par l’OPQU, il est vice-président du Conseil Français des Urbanistes. Spécialiste du renouvellement urbain et des actions concertées, mais surtout fou de bicyclette, il s’est embarqué avec pliant Brompton en laissant ses trois « pignon fixe » à la maison. C'est lui qui a tenu la plume.

Mise en garde

Les messages de ce blog ne sont pas des descriptions des quartiers visités, très largement documentés par la presse spécialisée, la presse nationale française et des ouvrages parus ces dernières années.

Ils sont juste l’émanation du souhait d’apporter un regard d’urbaniste et un ressenti de citoyen sans prétention à la vérité, mais aussi, pourquoi pas, de créer le débat.

Remarque :

Nous avons été frappés par les photos illustrant certaines publications d’urbanisme concernant les quartiers que nous avons visités… L’usage immodéré du grand angle et la recherche d’un certain esthétisme porte parfois le message photographique assez loin de la ressemblance. En ce qui nous concerne, nous n’avons pas tranché le débat : à Pierre les photos « notations », volontairement pas esthétiques, en grande quantité, dans une illusoire recherche de la « vérité »… à Denis des prises de vues plus parcimonieuses essayant de montrer les opérations sous leur meilleur jour, dans le souci illusoire de « rendre justice » aux quartiers visités.

Dans cet exercice photographique, mais également dans notre perception, les conditions climatiques ont beaucoup joué… on devrait obliger ceux qui donnent un quartier en exemple ou en contre exemple à évoquer dans quelles conditions météorologique ils ont découvert l’endroit…

mercredi 24 juin 2009

6/ Hamburg – Hafen City ( en cours – Allemagne)



Ciel chargé, soleil de fin d’après midi, grains et averses, lumière exceptionnelle, ballon + automobile + marche à pied. Seconde visite à pied, matinée de grand beau temps.

Pourquoi nous sommes nous retrouvés là ?

Un article de Grégoire Allix dans le journal « Le Monde », édition du 18 décembre 2008 : « Dans le port de Hambourg […] 157 hectares en centre ville, à 800 mètres seulement de l’hôtel de ville […] une vraie ville dense et passante comme l’urbanisme contemporain peine à en produire, mixant logements, commerces, bureaux, culture, équipements de proximité autour d’espaces publics généreux ». On trouvera sur le site du quotidien cet article très intéressant qui évoque notamment un mode original de fabrique de la ville marqué par une très grande maîtrise de la part de l’aménageur.

Site officiel de Hafen City: http://www.hafencity.com/

Est-ce que cela fonctionne ? Est-ce que cela vit bien ?

La tour Marco Polo

Notre visite intervient à ce stade particulier d’une très grosse opération d’aménagement en cœur de ville où la ville existante coexiste avec celle en production et la nouvelle qui vient d’être livrée. Mais déjà, le quartier a fière allure, il fourmille de vie, et ce qui est produit est loin de faire pâle figure auprès des pourtant extraordinaires cathédrales industrialo-portuaires des siècles passés, au premier rang desquels les anciens entrepôts de Speicherstadt.

Malgré une très forte densité, parfaitement assumée, la bonne gestion des échelles et des espaces fait qu’on ressent le sentiment de puissance qui se dégage d’autres secteurs plus anciens de la ville, mais sans se sentir écrasés. En fait, la succession d’immeubles très massifs est aérée sans être cassée par des jeux subtils de transparences et de discontinuité, mais aussi par d’impressionnant porte à faux côtés bassins portuaires qui viennent élargir les espaces publics.


En bref, malgré des dimensions colossales et l’environnement portuaire, on reste nettement dans une trame urbaine… et pas juste une succession d’objets architecturaux.

La magie et la séduction sont elles là ?

C’est une très grosse opération. La magie et la puissance romantique de la ville de Hambourg, qui transpire avec une belle arrogance son passé hanséatique ne sont pas brisées, mais plutôt prolongées par les espaces modernes de Hafen-City. Même si ces derniers accueillent ou accueilleront des objets très forts (Elbphilarmonie, par les architectes Herzog et de Meuron, musée des sciences, par Rem Koolhas), cela ne tourne pas encore à ce jour à la rivalité stérile d’objets architecturaux comme on peut maintenant l’observer à Bilbao ou à Gênes.

Parce que l’échelle est maîtrisée, parce que le liant est travaillé, les bâtiments « restent à leur place ».

Quelles rencontres ?

Des ouvriers de la construction, des salariés d’immeubles de bureaux, des habitants (il y en a 1400 sur le 12000 prévus) qui se croisent à l’heure du petit déjeuner dans une appétissante boulangerie flambant neuve…


Une asiatique en survêtement de satin rose pratiquant son Taï Chi sous le porte a faux d’un immeuble de bureaux du Dalmannkai.

Gadgets, détails, anecdotes…

Des espaces publics très bavards, très dépensiers, et parfaitement médiocres. Les quelques bonnes idées sont noyées dans une débauche de détails et de tentatives mal abouties. C’est la cacophonie entre des parements de briques redondant avec le travail plus convaincant des façades d’immeubles, des matériaux et types de revêtement multiples, des bancs, osons le dire, vraiment laids.



Plus intéressante, la façon dont ont été conservés et valorisés des grues portuaires, des pontons, des bateaux…

Le magnifique belvédère aménagé au pied de l’immeuble « Marco Polo » en cours de construction et a proximité de terrains vagues, nous pose tout à coup la question des espaces de rêve et de liberté : y aura-t-il des espaces non dessinés, non traités par l’opération ? On se prend à réver que ce belvédère, conservé, marque le point de départ d’un espace modeste dont on laisserait le devenir en suspens… (Ce belvédère a été aménagé dans le cadre du projet de l'Union européenne WATERFRONT COMMUNITIES au sein du programme INTERREG III B NORTHSEA

Le belvédère et à l'arrière plan le terminal des ferries, construit à partirde containers

Du côté du cycliste urbain ?


Un quartier parfaitement accessible par le vélo et les transports en commun, mais encore difficile à tester sur deux roues en raison des travaux.

La « leçon d’aménager moins » ?

  • Se donner le courage de la densité en s’inspirant des portions de ville où elle est déjà en place depuis longtemps ;
  • Ne pas lâcher les pieds d’immeubles aux promoteurs attributaires des parcelles, mais en faire un outil de la cohérence du quartier ; Dans les faits, cela revient à aménager moins car il n’y a pas à redonner une cohérence après coup.

A copier, à rêver, ou à oublier ?

A copier, pour la maîtrise, à rêver, pour l’énergie vitale du lieu, à oublier, pour les grands espaces publics de bout de quai.


Notre tandem d’urbanistes / perceptions croisées :

Une arrive vespérale époustouflante en raison du site, spectaculaire, de la météo, wagnérienne, et de notre première prise de contact avec le site : à 150 mètres de haut dans le doux tangage de la nacelle d’un ballon captif.

5/ Louisiana Museum of Modern Art – interlude - exposition “Green Architecture” (2009 Humlebaek Danemark)

(Projet Alsop. Bedfordshire www.alsoparchitects.com/ )

Ceci est un interlude puisqu’il s’agit d’une visite d’exposition… mais par paresse, nous avons gardé les mêmes questions !


Pourquoi nous sommes nous retrouvés là ?

Nous ne sommes pas tous les jours en train de rouler dans la verte campagne danoise (sur des pistes cyclables de luxe parfois dotées de l’éclairage public !). Alors un détour par le célèbre Louisiania Museum of Modern Art serait l’occasion pour Pierre d’admirer de fond en comble ce monument d’architecture enchâssé dans un site à couper le souffle, pour Denis de faire son travail scolaire en visitant la grosse exposition « green architecture », et pour les deux de déjeuner au soleil sur la terrasse du musée, face à l’Oresund et à la Suède.

Est-ce que cela fonctionne ? Est-ce que cela vit bien ?

Grrrrr ! On est fondamentalement agacés par le côté « foire à la technologie » de ce type de manifestation. Et puis voilà, quand on parcourt cette (superbe) exposition, on y voit de l’innovation véritable surtout en urbanisme… mais on donne surtout la parole aux architectes, y compris quand de multiples disciplines sont intervenues sur un projet (on pense notamment aux paysagistes… et cette exposition s’intitule green architecture, belle métaphore du manifeste « j’ai peint mon bâtiment en vert ».

Plus sérieusement, on réduit à chaque fois la question du développement durable aux procédés technologiques qui vont nous sauver une fois pour toutes.

Enfin, malgré une expérience à Saint Nazaire et un panorama croisé magnifique de quatre territoires en déprise, pas grand-chose sur les immenses enjeux de la réhabilitation et du traitement de la ville existante, pourtant capitaux même en s’en tenant aux termes « green architecture ».

La magie et la séduction sont elles là ?

Bon, une fois qu’on a dit ce qui précède (mais ils l’ont cherché, avec ce titre réducteur), il faut reconnaître que l’exposition est magnifiquement présentée, et surtout qu’une grande quantité / diversité d’opérations y est présentée. Elle réussit à montrer de façon réellement attrayante (voire spectaculaire) de très nombreux projets.

Au sein de cette diversité, on trouve forcément des points d’accroche avec ses propres questionnements…

Dans ce fourmillement d’expériences, certaines forcément nous parlent, nous font rêver, ou en tous cas nous donnent envie d’aller y voir de plus près.

Mais la vraie magie de l’expo, c’est celle à laquelle on veut nous faire croire, à savoir le développement durable = des bâtiments (pas un territoire), des techniques (pas des personnes), de la création et de l’innovation (pas de la redécouverte), de l’ajout, pas de la transformation.


Quelles rencontres ?

Une suédoise francophone très intéressée par le Gand Paris, des gardiens mutiques, des visiteurs concentrés et silencieux.


Gadgets, détails, anecdotes…

La grande maquette de Masdar, figée, dessinée, sponsorisée, l’endroit le plus triste d’une expo par ailleurs très gaie et plaisante. Un WC au plafond, dans la salle réservée à l’astronomie du logement.

Du côté du cycliste urbain ?

Puisqu’on vous dit que c’est l’architecture, qui va nous sauver, et pas le vélo!

A copier, à rêver, ou à oublier ?

A visiter ! http://www.louisiana.dk/dk

Notre tandem d’urbanistes / perceptions croisées :

Denis sous le charme d’une exposition parcourue longuement et attentivement, Pierre enfourchant ses chevaux de bataille après avoir visité l’expo au pas de charge… et plus motivé par l'architecture exceptionnelle du lieu

4/ Fredensborg housing – John Utzorn (1959-62 Danemark)



Très beau temps,matinée, 18°, marche à pied.



Pourquoi nous sommes nous retrouvés là ?



Il était bien peu probable que nous partions de notre propre chef dans la charmante bourgade de Fredensborg, au nord de Copenhague, visiter les 30 logements communautaires dessinés par John Utzorn, l’architecte de l’opéra de Sidney pour des personnes âgées de retour d’une carrière à l’étranger. Mais voilà, quand en 2008 « Le Moniteur Aménagement » a sollicité sept experts très réputés en leur demandant de citer l’opération pour eux la plus exemplaire dans le monde en matière de densité, Nasrine SERAJI a choisi l’opération de Fredensborg.


Bien lui en a pris : cela nous a donné l’occasion d’emprunter un dimanche matin une charmante route côtière bordant l’Oresund, avec un chapelet de villages danois bien propret et de somptueuses pistes cyclables où des Danois de tous âges éclatants de santé couraient et cyclaient obstinément.




Est-ce que cela fonctionne ? Est-ce que cela vit bien ?





On suppose que cette opération fonctionne parfaitement pour ceux qui ont choisi d’être là, qui ont les moyens d’être là, et qui aiment vivre entre eux (et surtout, chez eux).


Disons le dès maintenant : dès nos premiers pas dans ce petit ensemble étagé sur une faible pente, nous avons mesuré le malentendu fondamental : il ne s’agit ici ni d’une ville, ni d’un quartier, et la petite taille de l’opération comme le produit de niche qu’elle déploie ne se prêtent à aucune exemplarité en matière de densité ou de développement durable d’un territoire.


"Densité, densité... est-ce que j'ai une gueule de densité?"



Quand on veut aborder la question du développement durable d’un territoire, il faut l’aborder à une échelle minimale (2 ou 3000 habitants). En deçà, il n’est nullement possible d’aborder l’ensemble des enjeux du développement durable, notamment les enjeux sociaux.

La magie et la séduction sont elles là ?


La qualité immédiatement palpable de l’architecture intemporelle qui fait la part belle à la brique et de très belles tuiles, l’harmonie paysagère entre l’opération de logement, le golf attenant et la campagne environnante, la topographie magnifiquement mise à profit… dessinent une parfaite image pour beau livre d’architecture.



Mais la fermeture des îlots, les façades sur rue sans ouverture et aux portes blindées, le regard des habitants qui glisse sur les intrus, et les petits panneaux qu’ils ont mis dans les allées pour en interdire le passage, établissent clairement un climat d’hostilité à ce qui n’est pas l’entre-soi.


Quelles rencontres ?



Un chat en mal de caresses.



Gadgets, détails, anecdotes…



Un entrepreneur en train d’installer de la laine de roche en toiture, ce qui surprend presque au vu d’une architecture qui parait d’autant plus contemporaine que son aspect extérieur est absolument intact… et puis on se souvient qu’elle a cinquante ans...


La cheminée du centre communautaire, ou sont brûlés vifs les copropriétaires qui enfreignent le règlement. (on est pas sûrs de ce dernier détail)

Du côté du cycliste urbain ?


Pas osé faire du vélo (il doit y avoir un règlement contre ça), et cette mini opération est à l’échelle pédestre. Attention tout de même aux grosses berlines qui sortent de temps en temps des garages.


La « leçon d’aménager moins » ?

A quoi bon dessiner de magnifiques espaces si c’est seulement au bénéfice de quelques uns ?



A copier, à rêver, ou à oublier ?


A oublier, pour l’urbanisme, à rêver, pour l’architecture.



Notre tandem d’urbanistes / perceptions croisées :


Un agacement partagé, mais une jolie matinée: sur le chemin, Pierre, érudit de l’architecture, a pu admirer des bâtiments de Arne Jacobsen, dont sa fameuse station service… et Denis, qui se prétend totalement irrespectueux des grandes figures de l’architecture (et préfère les meubles de Jacobsen à ses constructions aseptisées) a pu admirer de magnifiques gares ferroviaires en bois qui ont fait vibrer sa fibre de navetteur train-vélo.



Une célèbre station service ...

3/ København Cité libre de Christiania (1971 Danemark)

Très beau temps chaud, après midi, bicyclette.

Pourquoi nous sommes nous retrouvés là ?

Cette friche militaire est sans doute le quartier « alternatif » le plus connu au monde. A voir sur le thème « aménager moins » dans la mesure où l’intervention publique y est seulement ponctuelle et périphérique.

Est-ce que cela fonctionne? Est-ce que cela vit bien ?

Un lieu étonnant, dérangeant, très différent de ce que l’on peut trouver dans les autres capitales européennes. Une évolution suprêmement originale de ce qui était à l’origine un glacis défensif autour des bastions qui entourent la ville, transformé par des implantations « sauvages » d’habitants.

Pour nous qui voudrions « aménager moins », il faut convenir, avant d’entrer dans les détails, que le quartier est sur ce point spectaculairement réussi. On a touché au minimum au lieu (en ce qui concerne les espaces publics. D’évidents problèmes de propreté mobilisent les habitants, mais ne mettent pas en péril les parcours et l’espace.

Au-delà des attendus juridiques précis, que nous ne connaissons pas, le contrôle de la collectivité semble s’être exercé par l’absence d’ouverture d’accès à la zone au droit de l’ensemble des voiries qui la bordent. Le quartier est donc à la fois très intégré par sa position centrale et isolé par la rareté des points d’accès.

Il est difficile de prévoir comment va évoluer cette enclave avec la nouvelle loi qui lui accorde un statut et qui transforme la cité libre de Christiania en coopérative de logement social. On peut douter qu’il se recrée un lien entre le point d’entrée urbain du quartier (au nord ouest, colonisés par les vendeurs de colifichets et de substances illicites) et ses zones excentrées mieux préservées (avec leurs baba cool embourgeoisés).

La magie et la séduction sont elles là ?

Il nous faut tout de suite distinguer entre quelques endroits où le tourisme fait déraper le site à la façon d’une « place du Tertre trash », mais dès que l’on s’éloigne, on a le sentiment de quelque chose d’unique. Impression magique d’un lieu ou passants comme habitants « font relâche », dormant, mangeant, s’embrassant, s’oubliant.

Des constructions époustouflantes que l’on peut voir ça et là reproduite dans des livres d’art sur les cabanes ou les architectures extravagantes participent à la fois à la magie du lieu et à son statut de « curiosité ».

On a certainement besoin ici plus qu’ailleurs de ce « quartier de tolérance », ou plus simplement de cet espace de liberté, dans une ville qui manque d’espace intime et qui est marqué par la fluidité de circulations rapides et cohérentes au travers desquelles le flâneur devient une gêne, comme nous avons pu l’expérimenter.

Plus au sud-est, en bordure du quartier, l’expérience migre vers une communauté enclose bo-bo chic confite dans l’entre-soi, avec de minuscules cabanes bien ordonnées aux jardins impeccables lorgnant vers l’art topiaire et drapeaux nationaux au vent, desservies par des équipements et sanitaires collectif et dont les accès, uniquement vélo et piéton sont fermés par des portes métalliques/


Quelles rencontres ?

Des dealers qui voulaient contrôler nos photos (où la marginalité se faisant l’agent du pire contrôle social…), un monsieur très gentil en triporteur chargé d’approvisionnement pour sa cabane, des enfants jouant au trampoline au détour d’un chemin, une japonaise sac au dos photographiant l’écorce d’un hêtre, des amoureux, des alcoolos, de tranquilles fumeurs de shit les pieds dans l’eau…



Gadgets, détails, anecdotes…

Une chaudière bois à granulés dernier cri aperçue par la porte entrouverte d’une cabane, des poubelles de collecte sélectives comme partout ailleurs, mais avec un « look » fantaisie…

Et un carré d’herbe tondu… mais seulement sous la table de pique nique qui s’y trouve.

Du côté du cycliste urbain ?

Un paradoxe : le quartier se définit par l’impossibilité d’un accès voiture, notamment au sud-est où il est bordé par une voie de circulation rapide sur laquelle volontairement aucun accès aux parcelles de « cabanes » n’a été ménagé. Toutefois, les chemins étroits et non revêtus obligent à un rythme très lent et précautionneux au regard de ce qui s’observe dans le reste de la capitale où les cyclistes urbains de tout poil nous paraissent être les plus rapides d’Europe…

On inspecte le matériel (remorques, vélos utilitaires et les installations (abris) des habitants du lieu qui ont choisi l’option « sans voiture ». Les autres sont stationnés au point d’entrée nord du quartier.

La « leçon d’aménager moins » ?

Prendre le risque d’espaces de tolérance où l’aménageur pose son crayon et l’édile tait ses craintes.

A copier, à rêver, ou à oublier ?

A rêver…


Notre tandem d’urbanistes / perceptions croisées :

Pierre, détendu et très marqué par une nature qui prend toute sa place dans la ville et par la sérénité qui se dégage des lieux vs/ Denis, irrité par l’accaparement d’une surface aussi importante au profit d’ultra-privilégiés de fait jouant hypocritement les marginaux (mais heureux de respirer un peu dans une capitale où tout fonctionne au cordeau)

2/ Malmö Quartier Augustenborg (2003 Suède)

Ciel voilé, 18°, matinée, bicyclette + marche à pied.
Pourquoi nous sommes nous retrouvés là ?

Ce quartier est mentionné dans l’ouvrage :Le développement durable dans les projets d’aménagement Philippe OUTREQUIN – Catherine CHARLOT VALDIEU http://www.librairiedumoniteur.com/boutique/fiche_produit.cfm?ref=9782281193619&code_lg=lg_fr ou http://www.decitre.fr/livres/L-urbanisme-durable.aspx/9782281193619

Un quartier d’habitat social qui a fait l’objet d’une opération renouvellement urbain très importante menée avec le cabinet Riksbyggens pour la société municipale de logements sociaux.
Axes de travail du projet :
  • Développement durable

  • Gestion des eaux pluviale

  • Déchets
  • Baisse du chômage
  • Cohésion sociale

  • Biodiversité
  • Participation des habitants.
Est-ce que cela fonctionne ? Est-ce que cela vit bien ?
Et voilà… a priori, pas grand-chose, un quartier presque banal… et voilà qu’on s’y sent chez nous, comme dans un jean bien taillé, dans lequel on serait confortable… mais aussi élégant !
On sent une attention portée aux habitants dans ce quartier d’habitat social à la base assez ingrat (des petites barres). Les habitants… ils nous disent se sentir privilégiés, en citant en premier la tranquillité, l’intimité, une qualité perceptible.

Les petits commerces « ethniques » apportent vie et services, la nature tempère une architecture austère.



L’intimité et la place des habitants est manifestée notamment par la mise en scène simple (un dénivelé) du passage de la voie principale de desserte du quartier aux voiries secondaires qui desservent les espaces de pied d’immeuble.


La hiérarchie des réseaux piéton, vélo et voiture est subtile. La voiture n’est pas congédiée comme à BO1, mais simplement mise à sa « juste place », en toute simplicité de moyens (places marquées, enclos matérialisés, entrées de parking végétalisées sans êtres jardinées.



Les outils sont simples mais toujours très bien pensés : mise à distance des rez de chaussée par rapport à l’espace public, mais sans tomber dans le travers de « privatiser » les pieds d’immeubles, juste avec un écran végétal.

Le jeu sur la topographie est parfaitement mis à profit, sans jamais en faire trop. Beaucoup d’espaces sont pensés avec en tête les enfants, et de nombreux détails fleurent bon la concertation pragmatique.

La magie et la séduction sont elles là ?

En cœur d’îlot, une ambiance de « salon » au profit de la résidence est présente au point que nous avons vu des gens y pique niquer ! Dans ce quartier à la population manifestement très modeste massée dans des immeubles collectifs, on ressent une sensation d’intimité indéniable.


Les habitants aiment leur quartier, et c’est un amour partageur, ils ont plaisir à le faire découvrir et acceptent de bon cœur de nous y voir déambuler. On ressent une impression chaleureuse… et très vite, on comprend bien que cela n’est pas arrivé « comme ça ».


Quelles rencontres ?

Des étrangers très largement, il faut bien dire qu’on les voit moins dans les quartiers plus centraux… Une « marginalité tranquille », plutôt aux abords du quartier… Et Gabriel, le passionné de vélo du quartier, roumain, qui nous a conviés à partager une bière… polonaise.




Détails, anecdotes, coutures, gadgets…

Un banc… idéalement implanté ; des locaux à déchets qui assument leur rôle d’espace de rencontre ( !) et d’élément qualitatif ; le chemin de l’eau, magnifiquement traité mais dans un grand dépouillement technique, ludique… mais pas dans la démonstration gratuite ; les locaux d’activité en sous sols semi enterrés : cela pourrait être un repoussoir, mais avec une signalétique sympathique et un chemin logique, on a tout de suite envie d’y faire un tour.

Pour protèger le stade de football : un petit grillage… en France, on aurait tout de suite demandé une barrière en aluminium thermo laqué sur structure rigide…


Du côté du cycliste urbain ?

On passe bien, et on sociabilise…

La « leçon d’aménager moins » ?

Peu de matériaux, mais de bonne qualité.

Des aménagements discrets et guidés par les usages.


A copier, à rêver, ou à oublier ?

Après avoir vu ce quartier, presque envie de dire de BO-011 « à oublier » (sauf comme pôle d’attrait et d’identité pour une ville qui en a besoin), en tout cas pour Augustenbourg, sans hésiter, c’est « à copier », et c’est possible !

Notre tandem d’urbanistes / perceptions croisées :

Consensus

dimanche 21 juin 2009

1/ Malmö Quartier BO-01 (2005 - Suède)


Ciel clair, soleil blanc, début de matinée vent frais, bicyclette + marche à pied.

Pourquoi nous sommes nous retrouvés là ?

Ce quartier construit pour une exposition européenne sur l’habitat durable a été livré en 2005. Il est mentionné dans de multiples publications et notamment l’ouvrage :

Le développement durable dans les projets d’aménagement Philippe OUTREQUIN – Catherine CHARLOT VALDIEU http://www.librairiedumoniteur.com/boutique/fiche_produit.cfm?ref=9782281193619&code_lg=lg_fr ou http://www.decitre.fr/livres/L-urbanisme-durable.aspx/9782281193619

3 objectifs :

  • performance énergétique
  • limitation de l’emprise de la voiture
  • tri des déchets

Est-ce que cela fonctionne ? Est-ce que cela vit bien ?

C’est un grand stand de foire exposition (le but originel). On ne peut pas parler à cette échelle de réel développement durable. C’est plutôt un concept quartier comme les constructeurs automobiles réalisent des concept cars… Ce rôle de démonstration est pleinement assumé et le quartier est une attraction touristique devenue indissociable de l’image de Malmö, avec une fierté légitime des habitants. On pense à Port Grimaud (Hérault, France): des idées probantes mais un quartier qui l’est moins.

Ce qui fonctionne le mieux : la réussite d’une diversité architecturale qui reste soumise à l’urbanisme : ce qui est difficile en effet, ce n’est pas de produire un plan masse, mais d’obtenir que les architectes qui investissent ce plan masse puissent dialoguer avec lui sans « explosion d’ego ».

Ce qui nous a convaincu : ce quartier est une reconquête d’une zone de friches portuaires en avancée sur la mer. Il est séparé du centre historique de Malmö par une zone intermédiaire, mais même dans ce vaste espace de liaison, rien n’a été abandonné. Le soin apporté à des zones potentiellement médiocres comme les parcs de stationnement des centres commerciaux est convaincant.

Porter cette attention nous parait un élément clé du développement durable, en obligeant à considérer comme précieux des espaces dont on fait souvent peu de cas, ce qui conduit logiquement à consommer moins d’espace au terme de la démarche.


Nous avons parfois tellement l’habitude d’aménager de façon médiocre que du fait d’une « hiérarchie » implicite, on surconsomme l’espace dans les secteurs interstitiels de la ville.


La magie et la séduction sont elles là ?

Bel effort vers une architecture contemporaine qui soit accessible au public… mais emportés par l’élan, les concepteurs n’échappent pas au piège du kitsch.


Les espaces publics sont très riches et très « bavards »… c’en est presque fatiguant après un parcours dans Malmö où l’on apprécie la sobriété, la fonctionalité et l’humilité d’espaces publics ouverts et bien dessinés, sans artifice, où on ne voit pas l’intervention de l’ingénierie tout en jouissant de la ville. Ici, on a oublié la simplicité, le rapport au grand environnement (l’Oresund). On se noie dans les matériaux, les effets…

une débauche de matériaux

A BO01, on sent toujours le crayon du paysagiste, même les plus petits mouvements de terrain. Tout à coup, même un modeste mamelon d’une pelouse presque sauvage au droit du chemin côtier trahit l’opération de chirurgie esthétique qui l’a fait monter d’un mètre de trop.

La magie est là… Mais c’est celle de l’Oresund, ce puissant couloir maritime. Imaginons BO0I sans la mer…

Quelles rencontres ?


Des badauds, bien heureux, comme nous de se promener en bord de mer, des couples de retraités, des joggers… et des habitants de tous âges qui en ce samedi matin lèvent au soleil blanc une paupière lourde des excès de la veille, dans des appartements design encombrés des reliefs épars d’un vendredi soir très arrosé. Et… des urbanistes en quête de modèles



Gadgets…anecdotes

Des inserts bois encadrés de métal répartis dans le pavage granit…

Des balancelles dans un micro jardin public en cœur d’îlot avec rampe d’accès handicap bordée de lisses inox. Les sols jaunes dans les venelles.

Deux bouteilles de bière tchèque dans une rigole sophistiquée de collecte des eaux pluviales : un double pied de nez à la production scandinave et à la propreté immaculée des espaces publics de BO-01.



Du côté du cycliste urbain ?

Le quartier est plus agréable à parcourir à pied qu’à vélo, il n’est pas dimensionné pour un bon repérage à vitesse cyclable et les accumulations de matériaux au sol ne sont pas dépourvues de petits pièges pour les roues de vélo. En revanche, la liaison vélo à grande vitesse vers le centre ville est extraordinaire avec de larges pistes très roulantes et une absence de ressauts trop marqué lors des intersections avec les chaussées auto qui permettent une séquence pédalée proprement enivrante.





La « leçon d’aménager moins » ?

  • Quand on s’implante dans un site qui a du souffle… limiter les artifices paysagers.

A copier, à rêver, ou à oublier ?

A « grapiller »…


Notre tandem d’urbanistes / perceptions croisées :

Consensus